Croisière en transporteur sur l'Amazonie

Pérou-
Yurimaguas / Iquitos
Il m’aura fallu un peu plus de 40 heures de bus pour rejoindre Yurimaguas depuis Lima.
J’empruntais tour à tour combi, moto taxi, bus avec ou sans confort. J’ai passé plus de nuit à dormir dans les bus, que dans les auberges de jeunesse, plus de journées à voyager qu’à visiter. Bien sûr j’aurais pu prendre l’avion de Lima à Iquitos, cela ne m’aurait couté que 40€ pour 2h de vol, mais j’avais souhaité cette lenteur pour m’adapter au voyage, délaisser derrière moi ce qui me retenait encore de m’abandonner à l’aventure que je voulais vivre.
C’est donc à Yurimaguas que je considérais que mon périple commençait. Sur le port je trouvais un moto taxi qui me renseigna et prit soin de moi jusqu’à mon départ comme s’il était mon père. Miguel m’avait dégoté une cabine 2 places pour moi seule sur le pont supérieur et un rabais sur le prix. 
Pendant que les cargaisons étaient chargées à dos d’hommes, je m’installais dans mon logement temporaire bien heureuse de passer 2 jours au même endroit. Je m’accoudais à la balustrade pour observer le spectacle des péruviennes attachant leurs hamacs, lavant leur linge sous le filet d’eau d’une bouteille.
Il faisait gris, il venait de pleuvoir. Les hommes pataugeaient dans la boue sous le poids des régimes de bananes, des caisses de poules vivantes, des sacs de patates, et une quantité d’autres fruits dont j’ignorais encore le gout sous ces latitudes.
Dans cette moiteur tropicale il était difficile de respirer ou de se mouvoir sans avoir l’impression de suffoquer. Il fallait apprendre à respirer différemment, à trouver un autre rythme. Je m’allongeais dans ma cabine face à la porte et regardais les arbres. Je me souvins de l’inconfort d’un exercice de yoga où je peinais à respirer sans paniquer. C’est en m’abandonnant au-delà de cette panique que le calme était revenu et que j’avais trouvé du confort et de la patience dans l’inconfort de cette position saugrenue. Je fis de même en regardant les arbres et puisais un nouveau souffle dans leurs racines et le prana. Tout est yoga.
Les araignées vinrent me rendre visite dans la cabine. Assez grosses et très différentes de leurs cousinage avec les araignées de chez nous, je pensais alors à ma fille qui en a horreur et aux quelques mois que j’allais passer dans la jungle où elles seraient inévitables. Il fut passé un accord entre elles et moi : je leur laisserai la vie pour peu qu’elles ne me grimpent pas dessus. L’accord passé, chacun de nous fut très respectueux du territoire de l’autre. Un énorme cafard mourut de sa belle mort sous mon lit dans un bruit déchirant, un papillon noir et blanc gros comme mon poing vient se poser sur mon genou, et les vautours dansèrent dans le ciel pour ceux qui voulurent du spectacle.
Sur le pont je rencontrais 3 voyageurs Lyonnais qui se rendaient non seulement à Iquitos mais aussi à Intie, comme moi. Angélique est justement une connaissance de longue date d’Anne notre hôtesse. Nous rions de ces rdv avec le hasard.
Nous nous arrêtons dans différents village le long du fleuve pour charger ou décharger des marchandises. Ce ballet ressemble fort à une fourmilière en activité. Bernard Werber le décrirait mieux que moi.
Tout le monde est très gentil et cherche à communiquer. Je fais un peu ma sauvage, je n’ai pas envie de parler, pas encore. Le bateau quitte à nouveau les berges. Je me laisse absorber par ce serpent d’eau qui sinue entre les 2 rives du fleuve. La végétation m’émeut aux larmes, j’ai l’impression d’être chez moi. Le soleil fait son apparition comme pour me souhaiter la bienvenue. Je reste des heures durant après un dernier message interrompu faute de réseau avec l’Europe, à m’enivrer de verdure et de ce ciel qui ne m’a jamais paru aussi grand, qui s’allonge devant moi comme une amoureuse langoureuse.
Je pense et je pense encore trop. J’imagine ce vide que je ressentirai à nouveau et qui me comblera.
Il fait tellement moite que mes lunettes sont pleines de buées. A peine je les essuie que ma vue déjà est troublée. Je sourie en me disant qu’il va me falloir les abandonner et rééduquer ma vue, tout comme je devrais rééduquer mon estomac et tant de choses encore !
A propos d’estomac, le mien est vide depuis longtemps. Je n’ai pas fait de course contrairement aux recommandations. Une bouteille d’eau de 2 litres est la seule charge supplémentaire que je me suis octroyée. J’ai confiance quoi qu’il advienne (c’est l’unique condition de ce périple). Au pire je mangerai d’ici 3 jours ! A ce moment-là arrive tout sourire un Péruvien avec un plateau repas : Du riz blanc, une cuisse de poulet et des haricots rouges ! Qui a dit qu’il fallait être prévoyant ?  C’est sobre mais bon ! Tout est parfaitement cuit, ni trop ni pas assez. 
Je mange peu, je n’ai pas vraiment faim, j’ai envie de quelque chose de juteux, de dégoulinant qui fasse danser mes papilles. Je descends sur le pont inferieur et plonge dans une mer de hamacs suspendus où se balancent les péruviens les yeux mi-clos. Entre 2 montagnes de boites d’œufs j’achète pour 3 soles 2 mangues (que je sais déjà succulentes pour y avoir gouté hier), 1 banane et 1 orange qui comme la veille me décevra. Je découvre qu’il y a un « bar » qui vend du papier toilette, des petits pains fourrés au beurre salé et du coca de la selva …
A peine ai-je eu le temps de remonter à ma cabine que j’aperçois une péruvienne aux cheveux mouillés. Je lui demande comment elle s’est lavé les cheveux. Elle m’indique les toilettes, et une histoire de douche, à laquelle je ne comprends pas tout, où coule l’eau marron du fleuve. Elle me propose aussi sec une balade en bateau, désigne une barque amarrée à notre transporteur. J’ai juste le temps d’acquiescer et de fermer ma porte à clé qu’elle me prend la main et m’emmène avec elle.
Je monte dans la barque, enfile le gilet de sauvetage que l’on me tend et nous filons à vive allure vers les berges. Je réalise alors que je n’ai pas pris le temps de réfléchir. Je ne sais pas où nous allons, ni pourquoi, ni comment nous regagnerons le transporteur qui continue sa route, ni combien de temps nous partons. Je ne sais pas qui est cette fille et pourquoi elle m’emmène avec elle alors que je ne la rencontre que depuis 1 minute.
Je sens la peur monter en moi. Des kilomètres de questions défilent dans ma tête en 10 secondes. Soudain je m’en veux d’être aussi naïve. Je check ce que je porte sur moi : mon téléphone qui ne sert à rien puisqu’il n’y a pas de réseau, mon passeport, l’argent, les 2 cartes de crédit, la clé de ma cabine. Si je me fais agresser c’est la fin du voyage. Ou bien peut-être est-ce une façon de vendre plus ou moins de force un tour sur berges. Le doute et la peur prennent place en moi. Je me rappelle, je me le suis promis. Pas ça ! Si je commence à me laisser gagner par la peur, c’est aussi la fin du voyage !
Je regarde à nouveau les arbres, les racines qui baignent dans l’eau et je sais dans les racines qui baignent au fond de moi que partout où je vais-je suis en sécurité.
Si cette certitude vous donne à sourire, elle est pour moi plus qu’une réalité.
Je reprends pied intérieurement et sourie à la belle péruvienne aux cheveux qui commencent à sécher. Nous faisons un tour le long des berges. Elle m’explique les rondins de bois cachés entre les arbres pour la fabrication des planches et des meubles, les épineux, me montre comment repérer les dauphins. Les courants forment de drôles de tourbillons dans l’eau. La surface du fleuve me fait penser à la peau fripée d’une vieille femme basanée. Selon les zones l’eau devient d’un noir d’encre. Je ne me le l’explique pas et je n’ai pas envie de savoir. Le mystère est bien plus beau, je n’ai pas besoin de me rassurer de connaissances. 
Plus tard je me doucherai avec cette eau boueuse. Les toilettes à bord disposent d’un ingénieux système qui, au moyen d’un simple tuyau et d’un robinet sont raccordés à la cuve d’eau des WC, elle-même pompée dans le fleuve. Après une hésitation, je constaterai que les Péruviennes n’ont pas de pustules, ne semblent pas malades et je déciderai de m’y doucher à mon tour. Ma peau n’aura jamais été si douce qu’au sortir de cette douche, jamais elle ne m’aura moins rèche. 
Nous faisons demi-tour avec notre petite embarcation et regagnons le transporteur. « Bienvenue au Pérou Tara ! », me dit mon hôtesse toujours aussi spontanée en me faisant la bise pour me dire aurevoir.

Je remonte dans ma cabine ravie et interloquée, je rêvasse et me laisse écraser par la chaleur. Je sens mon corps qui transpire, colle, suinte de toutes parts. Je regarde le ciel si bleu et lui confie que j’aimerais bien un peu de pluie. Dix minutes plus tard de gigantesques nuages chevauchent le ciel… il pleut !

Écrire commentaire

Commentaires: 0