Huaraz- Trek de la Laguna 69

Huaraz – Pérou

Trek de la Laguna 69 ou randonnée à l’intérieur du corps

 

Huaraz est une grosse ville coincée entre la cordillère noire et la cordillère blanche, victime d’un tremblement de terre en 1970 elle n’a pas une architecture intéressante, tout est fait de briques et les finitions sont inexistantes, mais c’est le point de rdv de tous randonneurs, d’un jour ou plus expérimenté. Ici les montagnes dépassent les 6000 mètres. Vous connaissez forcement l’une de celles qui l’entoure ! SI je vous dis Artesonraju ? Eh bien si, vous la connaissez, vous n’en ignorez que le nom ! Il s’agit de la montagne qui fut pris pour modèle par les studios de cinéma de la Paramount …

Voilà le décor est planté, vous avez même les petites étoiles autour du sigle et la musique qui va avec, on va pouvoir y aller !

  Il est 5h, le soleil n’est pas encore levé. Départ pour la Laguna 69. Un Trek de plus en plus connu d’une journée seulement. Oui une seule petite journée faite pour se dépasser.

La veille j’avais croisé 2 jeunes filles rencontrées à Iquitos. Elles revenaient du trek de Santa Cruz, un trek de 4 jours. Elles avaient abandonné le deuxième jour à 3400m d’altitude. Je me demandais si ce n’était pas prétentieux de ma part ce petit trek d’une journée à 48000m, si mes jambes allaient me porter et si mon souffle y résisterait.

De façon générale on est bardé de conseils. Ceux de l’agence naturellement. Je louais donc des chaussures de rando gore tex (anti pluie ; c’est la saison des moussons, il fait beau le matin et il pleut tous les après-midis et tous les soirs). Déjà là je ne le sentais pas. Les chaussures montantes m’entouraient les chevilles et leur rigidité me faisait penser à des chaussures de ski, je déteste ca et pour couronner le tout il n’y avait pas ma taille. Je chaussais donc un étau d’une taille de plus que ma pointure en me demandant comment mes pieds allaient pourvoir s’adapter au sentier avec une telle rigidité.  J’avais pris la précaution la veille de booster mes jambes avec un Powerstrip sur chaque, histoire de ne pas souffrir inutilement et d’éviter les crampes . Autre conseil, l’eau ! On recommandait 3 litres d’eau. Là encore déception. Je venais de me faire voler ma Katadyn (gourde filtrante qui permet de boire l’eau instantanément dans n’importe qu’elle flaque de boue), il me fallait donc me coltiner 3 litres soit 3KG supplémentaires. Recommandation encore, prendre un sandwich, voire deux, des fruits et des encas. Je me chargeais encore de 3 bananes, un sandwich, une barre de céréales. Auquel on ajoute, la veste de pluie, la crème solaire, les lunettes de soleil, le bonnet, les gants, et les feuilles de coca.

Contrairement aux idées reçues, les feuilles de coca ne sont pas une drogue. Pour faire de la cocaïne, il faut bien sur des feuilles de coca, mais aussi une fois récoltées, il faut les faire tremper dans du Kerozene pendant 3 jours en les piétinant (un autre type de mescla !). Ce jus est ensuite mélangé à de la chaux, puis filtré et séché. On obtient alors une pâte de base qui sera par la suite mélangée à 41 autres produits chimiques (dont de l’acide, de l’acétone, de l’éther, de l’ammoniaque, de la chaux etc) Il faut attendre encore que les cristaux se déposent, puis filtrer pour récupérer le chlorhydrate de cocaïne, faire sécher, retirer les cristaux et faire sécher à nouveau pendant 3 heures pour obtenir une poudre blanche : la cocaïne.

 Donc la feuille de coca à coté, c’est vraiment tout gentillet ! Les Péruviens l’utilisent pour se donner de l’énergie et surtout pour le MAM (Mal Aigu des Montagnes). Avec quelques feuilles séchées qu’ils roulent en boule et se collent dans la joue, ils mastiquent de temps à autres les feuilles qui broyées distillent leurs propriétés. Dans la même gamme on peut trouver des infusions, des chewing-gums et personne ne voit d’éléphant rose traverser le mur de sa chambre façon passe muraille.

 

Nantie de mon barda, je pris le bus qui montait à 4OOO mètres. Déjà là l’altitude se faisait sentir. Je sentis en sourdine un mal de crane. Déjà ! En fermant les yeux une envie de dormir m’envahit. Je me laissais glisser avec délice dans ce sommeil qui semblait peu commun et vraiment profond. A mon réveil le MAM s’était calmé, de toute façon il allait falloir s’adapter et s’adopter !

 

Le premier kilomètre dans la plaine fut un régal. Vaches, rivière, arbres marron rouge, ciel bleu, soleil …jaune ! Tout invitait à monter lentement et avec légèreté. Puis au sentier les sourires s’effacèrent. La marche ralentit. Le cœur commençait à battre la chamade, pour un peu on fermerait son blouson de peur qu’il ne s’échappe. 800 mètres de dénivelé… nous allions les sentir passer !

 

Bien avant le premier col, certains s’asseyaient déjà. Ce fut ma première promesse. Ne pas m’asseoir. Rien que de devoir relever son corps de tout son long et recommencer à marcher était une épreuve. Chaque pas pesait plus lourd. Je ne regrettais pas d’avoir laissé mes chaussures de location dans le bus et d’être à l’aise dans mes Merrell ! Tous les 10 pas nous montions de 10 mètres. La zone droite de mon cerveau souffrait. Étrangement la gauche n’en avait que faire. J’observais. Rapidement ce fut l’hécatombe, le chemin se pavait de randonneurs assis. Je m’arrêtais à mon tour pour souffler mais debout. La veille il avait dit que c’était question de mental. Je m’accrochais à cette phrase et décidais de ne pas lâcher. Le mental est affaire de yoga aussi (oui encore !). Lorsqu’un exercice devient difficile on plonge dedans en saut de l’ange pour regarder ce qu’il se passe à l’intérieur et on respire. Sincèrement je pense qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de me concentrer sur cette respiration et de la dompter. Pour m’aider j’allumais mon mp3 bien incapable d’user de mon souffle pour faire la moindre conversation. Dans la playliste mantras je trouvais tout ce qu’il fallait de « ritournelle » pour me donner l’impulsion et la concentration. Quelques mètres plus loin je retrouvais même le sourire et le plaisir du paysage. Ces grandes montagnes pelées, ses roches noires par endroit et tout là-haut les glaciers. Tous les 10 pas environ, je m’arrêtais debout sur le côté pour que mon cœur retrouve une cadence supportable, ou du moins qui me semblait normale. J’en profitais pour me baigner du paysage et toujours et encore ce ciel dont je fais des collections depuis mon départ. Je sentais par vague le MAM refaire surface régulièrement. Je compris assez vite que respirer plus fort et uniquement par le nez me rendait la tâche plus facile. A cette altitude tout ce qui se passe en vous devient net. Je sentais le va et viens de l’air dans mes poumons mais plus encore quelque chose dans le bas du dos qui montait le long des reins. Plus je respirai fort, plus ça montait, plus le MAM diminuait. Je l’ai senti ensuite essayer de gagner la gauche, puis la nuque et toujours je respirais plus fort en faisant monter l’air dans mon dos comme on actionnerait une pompe. Mes vêtements étaient trempés de sueur mais l’énergie requise pour enlever le sac à dos, le blouson, remettre le sac à dos (4KG) et porter le blouson à bout de bras n’était pas envisageable. Je gardais donc tout sur le dos jusqu’à ce que je sente comme à Iquitos ce phénomène d’air conditionné. Plus le temps passait, plus je profitais. La marche restait difficile, le cœur menaçait toujours de quitter son lit mais je prenais un vrai plaisir à sentir mon corps vivre. Tout est mental avait-il dit, tout est yoga avais-je appris.

 

Le sommet approchait. Impossible alors de deviner le paysage de carte postale qui se cachait derrière ce dernier col. Je regardais en bas et me sentie fière d’être arrivée jusqu’ici. On distinguait à peine les détails de la plaine.

 

Au sommet, ceux qui étaient arrivés avant moi prenaient la pause pour la photo devant une petite lagune aux eaux sombres enclavée entre des roches grises. J’étais stupéfaite. Tout ça pour ça ! Je revins sur mes pas pour revoir ce magnifique paysage qui m’avait accompagné jusqu’ici et compris pour la première fois tout le sens qu’avait le chemin comparé à sa destination. Un peu sonnée, je traversais la lagune pour voir l’autre versant quand j’aperçu que le sentier continuait, redescendait dans la vallée et remontait  d’autant que nous avions déjà parcourus…

 

La vallée était verdoyante, plane et accueillante cependant une bonne moitié du groupe s’assit pour se reposer et ne pas continuer. Pour la plus part d’entre nous ce sommet annonçait la fin de l’effort. La prochaine montagne à gravir était encore plus haute. Marcher dans la vallée était déjà difficile…Je montais le son de mon mantra et calais mon pas sur celui-ci. Je fredonnais même à voix basse en baissant les yeux pour ne pas croiser le regard de ceux qui abandonnaient de peur de me laisser tenter.

 

La marche de cette autre montagne ressemblait à une marche de bagnards.  Les corps se déplaçaient avec lenteur et lourdeur. Souvent dans une main la bouteille d’eau, dans l’autre le blouson. Nous dépassions à tour de rôle de mètres en mètres, certains faisant 10 pas avant de s’asseoir, d’autres 5 comme moi avant de reprendre la route. Certains buvaient, mangeaient. Quelque part je les enviais car le poids de leur sac diminuait. J’avais toujours mes 2 litres d’eau, mon encas, mes bananes, mon sandwich. Il me paraissait impensable de manger. Je n’avais pas faim du tout. Pas soif non plus. Je savais que je devais me forcer, mais j’étais bien. Mon corps ne donnait aucun signe d’alarme. J’avais de la salive. Peu mal aux jambes bien que lourdes, le cœur battant la chamade, mais le Mam ne s’installait pas. J’allais très bien, je gardais le sourire devant ces paysages grandioses. Je n’avais pas besoin de tout ça. J’avais juste besoin de respirer et de sentir.

 

Subrepticement le paysage changea. En un flash je revis un paysage de montagne que je m’étais inventée lors d’une méditation avec Deepak Chopra. Ce paysage était là sous mes yeux. Exactement le même alors que j’avais cherché à l’époque à y enlever des choses tant il me semblait qu’une montagne ne pouvait ressembler à cela. Il était devant moi. Et il était exactement entrain de se passer ce que j’avais vu : cette horde de grimpeur à pas lent. Je me retournais et regardais les montagnes. On sentait l’air du glacier refroidir l’atmosphère, les nuages nous enveloppaient. J’adorais ces touffes d’herbes folles aux couleurs violacées et crèmes et je me sentie immense comme faisant partie du vent, des cascades et des roches.

 

Je repris la marche en sentant comme il devait être bon de pouvoir fermer les yeux à cet instant et de m’endormir. Les derniers mètres furent terribles pour les jambes et le cœur. Je m’arrêtais tous les 3 pas. Ceux qui redescendaient encourageaient ceux qui comme moi  gravissaient les derniers mètres dans un effort que l’on a plus envie de faire.

 

La Laguna 69 offrit enfin son spectacle turquoise dans ce désert de roche où pas un brin d’herbe ne pousse. Cachée là-haut au milieu de rien, nous venions la réveiller avec nos selfies de conquérants et le tapage de nos voix.

 

A peine arrivée le guide me signifia qu’il nous fallait tous redescendre immédiatement. Je lui demandais le temps de faire le tour de la lagune mais il se fit si pressant que je ne restais pas plus de 10 minutes sur le site avant d’entamer le retour.

 

 

A mon tour j’encourageais les derniers grimpeurs (qui auraient moins de temps que moi encore à la Lagune) dans ce qui se voulait être une descente facile en comparaison de l’effort qui venait d’être fait. Je redescendis par paliers. Si la marche se voulait plus légère et le cœur au repos, il n’en restait pas moins que le corps demandait à s’adapter à l’altitude descente. Clairement j’étais fatiguée. Après des heures de marche, je ne m’étais toujours pas assise et le sommeil m’appelait. Je descendis lentement pendant que me doublaient ceux d’en haut. Le guide me rattrapa. Il me demanda d’accélérer.  La descente fut un cauchemar. Sans respecter les paliers, les maux de tête m’envahirent et je finis en larmes. Dans la panique et sous la pression du guide, je fus incapable de gérer le stress et ma respiration. Je ne vis rien des paysages que j’avais tant aimé à l’aller, cet après-midi-là, contrairement à tous les autres, il ne plut pas. Je croisais quelques randonneurs qui vomissaient ne supportant pas eux non plus une descente si rapide. J’envoyais bouler le guide qui ne me lâchait pas car il avait 29 personnes à l’aller dans son bus, il lui en fallait 29 au retour. Je dormis dans le bus et me sentie perdue en ville pourtant à 2 pas de mon hôtel. La pression était redescendue mais un mal sourd persistait. Je n’avais toujours ni faim, ni soif, ni courbatures. Je restais convaincue que tout se serait parfaitement passé si j’avais pu respecter ce que mon corps me demandait.  Je m’endormis avec pour seul regret de ne pas avoir pu dormir là-haut. Car le sommeil là-haut, c’est comme entrer lentement dans toute la douceur de la mort.

 

 

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