Du yoga dans la jungle

Intie- 2ème semaine

Du Yoga dans la jungle

 

C’est avec une certaine appréhension que je regagnais Intie. Quelque chose en moi avait allumé une veilleuse en zone rouge. Je plaçais ma semaine sous la vigilance d’une petite phrase « Ne crois pas tout ce que tu penses ! » et voyais ce qu’elle offrait dans chaque situation.

 

Autre semaine, autre jour de mescla (mélange d’argile, de paille, de sable et d’eau que l’on pétrit avec les pieds sous la surveillance des moustiques affamés). Le groupe de filles n’est pas en forme nous peinons lamentablement alors que la veille ce fut presque facile. Le principe est simple. Observer ce qui traverse les pensées. J’observe et fini par aller chercher de l’énergie là où il y en a…dans le groupe des mecs ! D’un coup la fatigue, la sueur, les jambes lourdes, tout devient plus supportable. Comme dirait Romain, parfois on vampirise l’énergie de quelqu’un sans même s’en rendre compte. Cela arrive plus souvent qu’on ne le pense !

 

A mon grand étonnement, ici de 18 à 45 ans tout le monde parle de spiritualité et de médecines parallèles. C’est d’une aussi grande banalité que de parler du temps qu’il fait. Personne ne s’étonne, ne passe pour un illuminé. Pourtant il y a des ingénieurs, des commerciaux, des étudiants, des mecs très pragmatiques. Mais c’est avec plaisir que chacun fait part de ses expériences en terme d’énergie, d’Ayahuasca (voir le film Blueberry) , de Kambo (venin de grenouille en cataplasme utilisé par les communautés indigènes qui provoque des hallucinations et cure certaines maladies telles que l’alcoolisme, la dépression, les staphylocoques etc). Le mot chaman se retrouve sur toutes les lèvres, même pour moi s’en est presque trop et je préfère rester en silence parfois et observer.

 

Comme tous les après-midis je propose une séance de yoga. Ce jour-là ils sont 7. Personne ne connaît le yoga Kundalini mais l’expérience est tentante pour chacun. Je donne quelques indications en début de séance et c’est parti pour 1H30. Certains en redemanderont le jour suivant. D’autres stupéfaits de la puissance de la pratique n’oseront pas renouveler tout de suite, pour d'autres encore c'est une révélation et souhaitent poursuivre cette pratique en rentrant. Je connaissais mes propres ressentis, j’ignorais jusque-là la perception des autres. Le groupe vient de me faire un cadeau dans son partage de fin de séance. Ils m’encouragent à continuer et même à devenir prof. On me demande des séances pour la semaine suivante. Je m’imagine rentrer à Iquitos et me pencher sur la préparation d’une courte séance que j’animerai sans les supports audios des cours d’Elodie et Brice Cavallero. Je garde un œil constant sur les circonvolutions de mon mental qui passe de l’enthousiasme au manque de confiance, de l’échafaudage de plans futurs à la simple respiration présente en un quart de seconde. Toute la semaine je prends soin de laisser de côté la veilleuse rouge de mon appréhension de début de semaine afin de lui accorder le moins de place possible et de tenter de vivre l’instant présent. Je fais une demande de signes clairs pour établir la suite.

 

Étrangement je constate que mes ongles résistent pour une fois à tous travaux même sans vernis, j’ai déjà pris des forces et maigri aussi. J’ai rarement faim mais tout le monde ici met un tel point d’honneur à faire de la cuisine végétarienne hyper créative avec trois fois rien que je me laisse tenter par tout ce qui est proposé. Je suis tout le temps sale, j’ai les cheveux hirsutes, pas vu mon visage depuis un moment dans une glace et ça me plait ! Mes yeux ne voient plus flou sans lunettes, j’ai même pu voir une sauterelle verte sur une feuille verte à 3 mètres de moi !

 

Dans la nuit de jeudi je fais un rêve qui m’indique que je dois rentrer à Iquitos et ne pas revenir. La veilleuse devient un phare. J’ignore ce qu’il se passe mais j’écoute. Je doute aussi.. Serais-je entrain de croire à ce que je pense ? J’annonce mon départ pour samedi. Malgré un vendredi difficile en reforestation, j’ai envie de rester. Des liens se créent parmi le groupe qui m’incite à rester et il y a encore tant de choses que je n’ai ni vu, ni tenté !

 

Je décide de plier ma tente le vendredi en fin de journée et de dormir la dernière nuit dans le dortoir avec les autres. Avec précaution j’enlève le double toit de ma tente. Je découvre une mygale aussi noire que velue au sommet de ma moustiquaire. A l’aide d’un bâton je l’envoie se promener dans son domaine plutôt que le mien. Je descends de mon estrade sur pilotis et aperçois cette fois une araignée énorme sous le plancher de ma tente. Je la laisse en paix. Je replie ma tente toujours sous la vigilance de l’armée volante de sa majesté et celles de mes pensées qui voudraient bien jouer à avoir peur. Je respire et tout disparaît comme un mirage, armée volante comprise. A nouveau vigilance sur le fait d’en douter, ce qui pourrait les rameuter …Ne crois pas tout ce que tu penses ! D’autres pensées m’assaillent dans la même seconde, autant envie de rester que de partir, je ne sais pas pourquoi j’écoute ce rêve. Où se trouve le bouton off des pensées ? La pratique du yoga vient à mon secours, je me rappelle qu’il n’y a qu’à observer et qu’à nouveau tout disparaît. Qui est celui qui me rappelle d’observer quand tout devient confus?

 

Mission accomplie la tente est pliée. Je fais 3 allés/ retours sur les 500 mètres qui me séparent du campement dans la nuit qui m’ouvre ses bras pour ramener mon bardas. Il ne reste que ma lampe à décrocher et un sac poubelle à ramener pour rendre Valentine (le nom de la cabane) à la mygale qui m’enviait. Le cœur un peu lourd je remonte une dernière fois sur l’estrade pour récupérer ma lampe lorsqu’une partie du plancher bouffé par les termites s’écroule sous mes pieds. Je chute avec lui sans me faire mal. J’ai la certitude à présent qu’Iquitos m’attend. Valentine n’abritera plus personne. Je la remercie de son hospitalité et de m’avoir attendue. Je n’oublierai jamais cet endroit, Intie et tous ses occupants si lumineux.

 

Je passe une nuit dans le dortoir bien moins agréable que dans Valentine et prends au matin le bateau qui me ramène dans cette ville aussi bruyante que malodorante. Je découvre en pointillé la signification de mon rêve qui confirme ce que je pensais, mais il est déjà, trop tard. J’ai peut-être raté une occasion de ne pas écouter mes pensées, qui sait ce qu’il en serait advenu… je ne le saurais jamais. Le lendemain mon beau pendentif se casse sans que je comprenne vraiment sous quel effet. Lui qui était censé m’accompagner tout le long de mon voyage … Je comprends à présent que ma route se fera sans filet, sans porte bonheur, sans fausse croyance. Je me sens un peu seule avec moi-même, certaines ombres s’étendent comme la nuit sur Intie mais je sens aussi plus que jamais que celui qui observe ce qui observe est présent en moi. Il y aura toujours des pensées qui feront de l’ombre à mon soleil mais rien ne dure, chaque seconde est éphémère. Je peux faire une mescla de ma vie ou de mes pensées avec ou sans vampiriser moi-même l’énergie de mon mental. 

C’est juste un choix ou plutôt une présence.

 

 

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